VICO ACITILLO 124 - POETRY WAVE
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Direttore: Emilio Piccolo



Sans passion il n'y a pas d'art

Calamus
I poeti di Otto Anders


François Villon

   
Ballade des dames du temps jadis
Ballade des seigneurs du temps jadis
Ballade en vieil langage françoys
Ballade (des langues ennuyeuses)
Ballade [de la Grosse Margot]
Ballade de bonne doctrine à ceux de mauvaise vie
Ballade des pendus (L'Epitaphe Villon)



Ballade des dames du temps jadis

Dites-moi où, n'en quel pays,
Est Flora la belle Romaine,
Archipiades, ni Thaïs,
Qui fut sa cousine germaine,
Écho parlant quand bruit on mène
Dessus rivière ou sur étang,
Qui beauté eut trop plus qu'humaine
Mais où sont les neiges d'antan?

Où est la très sage Héloïs,
Pour qui fut châtré et puis moine
Pierre Abelard à Saint-Denis?
Pour son amour eut cette essoine.
Semblablement, où est la reine
Qui commanda que Buridan
Fut jeté en un sac en Seine?
Mais où sont les neiges d'antan?

La reine Blanche comme lis
Qui chantait à voix de sirène,
Berthe au grand pied, Bietris, Alis,
Haremburgis qui tint le Maine,
Et Jeanne la bonne Lorraine
Qu'Anglais brûlèrent à Rouen;
Où sont-ils, où, Vierge souvraine?
Mais où sont les neiges d'antan?

Prince, n'enquerez de semaine
Où elles sont, ne de cest an,
Qu'à ce refrain ne vous remaine:
Mais où sont les neiges d'antan?


Ballade des seigneurs du temps jadis

Qui plus, ou est ly tiers Calixte,
Derrenier decedé de ce nom,
Quy quatre ans tint le papalixte?
Alfonce le roy d'Arragon,
Le gracïeux duc de Bourbon,
Et Artus le duc de Bretaigne,
Et Charles septiesme le bon?
Mais ou est le preux Charlemaigne?

Semblablement, le roy scotiste
Qui demy face ot, ce dit on,
Vermaille comme une emastiste
Depuis le front jusqu'au menton,
Le roy de Chippre de renom,
Helas ! et le bon roy d'Espaigne
Duquel je ne sçay pas le nom?
Mais ou est le preux Charlemaigne?

D'en plus parler je me desiste,
Le monde n'est qu'abusïon;
Il n'est qui contre mort resiste
Ne qui treuve provisïon.
Encore faiz une questïon:
Lancellot, le roy de Behaygne,
Ou est il ? Ou est son tayon?
Mais ou est le preux Charlemaigne?

Ou est Clacquin le bon Breton,
Ou est le conte daulphin d'Auvergne,
Et le bon feu duc d'Alençon?
Mais ou est le preux Charlemaigne?


Ballade en vieil langage françoys

Car ou soit ly sains appostolles,
D'aubes vestuz, d'amys coeffez,
Qui ne seint fors saintes estolles
Dont par le col prent ly mauffez
De mal talant tout eschauffez.
Aussi bien meurt que cilz servans,
De ceste vie cy buffez:
Autant en emporte ly vens!

Voire, ou soit de Constantinobles
L'emperieres au poing dorez,
Ou de France le roy tres nobles
Sur tous autres roys decorez,
Qui pour ly grant Dieux adorez
Batist eglises et couvens,
S'en son temps il fut honnorez,
Autant en emporte ly vens!

Ou soit de Vïenne et de Grenobles
Ly Dauphin, ly preux, ly senez,
Ou de Dijon, Salins et Dolles,
Ly sires filz le plus esnez
Ou autant de leurs gens prenez
Hereaux, trompectes, poursuivans,
Ont ilz bien boutez soubz le nez,
Autant en emporte ly vens !

Princes a mort sont destinez,
Et tous autres qui sont vivnans;
S'ilz en sont courcez n'atinez,
Autant en emporte ly vens!


Ballade (des langues ennuyeuses)

En rïagar, en alcenic rochier,
En orpiment, en salpestre et chaulx vive,
En plomb boullant pour mieulx les esmorcher,
En suye et poix destrempee de lessive
Faicte d'estrons et de pissat de Juisve,
En lavailles de jambes a meseaux,
En raclure de piez et vieulx houzeaux,
En sang d'aspic et drocques venimeuses,
En fïel de loups, de regnars et blereaux,
Soient frictes ces langues ennuyeuses!

En servelle de chat qui hait peschier,
Noir et si viel qu'il n'ait dent en gencyve,
D'un viel matin, qui vault bien aussi chier,
Tout enragié, en sa bave et sallive,
En l'escume d'une mulle poussive,
Detrenchée menue a bons cyseaulx,
En eaue ou ratz plungent groins et museaux,
Regnes, crappaulx et bestes dangereuses,
Serpens, laissars et telz nobles oiseaux,
Soient frictes ces langues ennuyeuses!

En sublimé, dangereux a toucher
Et ou nombril d'une couleuvre vive,
En sang c'on voit es poillectes sechier
Sur ces babriers, quant plaine lune arrive,
Dont l'un est noir, l'autre plus vert que cyve,
En chancre et fix et en ces ors cuveaulx
Ou nourrisses essangent leurs drappeaux,
En petits baings de fïlles amoureuses
- Qui ne m'entant n'ay suivy les bordeaux -
Soient frictes ces langues ennuyeuses!

Prince, passez tous ces frians morceaux,
S'estamine, sacz n'avez ne bluteaux,
Parmy le fons d'unes brayes breneuses,
Mais paravant en estronc de pourceaux
Soient frictes ces langues ennuyeuses!


Ballade [de la Grosse Margot]

Se j'ayme et sers la belle de bon het,
M'en devez vous tenir ne vil ne sot ?
Elle a en soy des biens affin soubzhet;
Pour son amour seins boucler et passot.
Quant viennent gens, je cours et happe ung pot,
Au vin m'en voys, sans demener grant bruyt;
Je leur tens eaue, froumaige, pain et fruyt.
S'ilz paient bien, je leur diz : «Bene stat,
Retournez cy, quant vous serez en ruyt,
En ce bordeau ou tenons nostre estat.»

Mais adoncques, il y a grant deshet,
Quant sans argent s'en vient coucher Mergot;
Voir ne la puis, mon cueur a mort la het.
Sa robe prens, demy seint et seurcot,
Sy luy jure qu'il tendra pour l'escot.
Par les costez se prent, c'est Antecrist,
Crye et jure, par la mort Jhesucrist
Que non fera. Lors empoingne ung esclat,
Dessus son nez lui en faiz ung escript,
En ce bordeau ou tenons nostre estat.

Puis paix se fait, et me fait ung groz pet,
Plus enffle qu'un velimeux escarbot.
Riant, m'assiet son poing sur mon sommet,
Gogo me dit, et me fiert le jambot;
Tous deux yvres dormons comme ung sabot.
Et au resveil, quant le ventre lui bruyt,
Monte sur moy, que ne gaste son fruyt,
Soubz elle geins, plus qu'un aiz me fait plat;
De paillarder tout elle me destruyt,
En ce bordeau ou tenons nostre estat.

Vente, gresle, gesle, j'ay mon pain cuyt.
Je suis paillart, la paillarde me suyt.
Lequel vault mieulx ? Chascun bien s'entressuyt,
L'un vault l'autre, c'est a mau rat mau chat.
Ordure aimons, ordure nous affuyt;
Nous deffuyons honneur, il nous deffuyt,
En ce bordeau ou tenons nostre estat.


Ballade de bonne doctrine à ceux de mauvaise vie

Car ou soies porteur de bulles,
Pipeur ou hasardeur de dez,
Tailleur de faulx coings, tu te brusles,
Comme ceulx qui sont eschaudez,
Traistres parjurs, de foy vuydez;
Soies larron, ravis ou pilles:
Où en va l'acquest, que cuidez?
Tout aux tavernes et aux filles.

Ryme, raille, cymballe, luttes,
Comme fol, fainctif, eshontez;
Farce, broulle, joue des fleustes;
Fais, es villes et es citez,
Farces, jeux et moralitez;
Gaigne au berlanc, au glic, aux quilles.
Aussi bien va -- or escoutez --
Tout aux tavernes et aux filles.

De telz ordures te reculles;
Laboure, fauche champs et prez;
Sers et pense chevaulx et mulles;
S'aucunement tu n'es lettrez;
Assez auras, se prens en grez.
Mais se chanvre broyes ou tilles,
Ne tens ton labour qu'as ouvrez
Tout aux tavernes et aux filles.

Ballade des pendus (L'Epitaphe Villon)

Frères humains qui après nous vivez
N'ayez les coeurs contre nous endurciz,
Car, ce pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tost de vous merciz.
Vous nous voyez ci, attachés cinq, six
Quant de la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéca devorée et pourrie,
Et nous les os, devenons cendre et pouldre.
De nostre mal personne ne s'en rie:
Mais priez Dieu que tous nous veuille absouldre!

Se frères vous clamons, pas n'en devez
Avoir desdain, quoy que fusmes occiz
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n'ont pas le sens rassiz;
Excusez nous, puis que sommes transsis,
Envers le filz de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l'infernale fouldre
Nous sommes mors, ame ne nous harie;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!

La pluye nous a débuez et lavez,
Et le soleil desséchez et noirciz:
Pies, corbeaulx nous ont les yeulx cavez
Et arraché la barbe et les sourciz.
Jamais nul temps nous ne sommes assis;
Puis ca, puis là, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charie,
Plus becquetez d'oiseaulx que dez à couldre.
Ne soyez donc de nostre confrarie;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!

Prince Jhésus, qui sur tous a maistrie,
Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie:
A luy n'avons que faire ne que souldre.
Hommes, icy n'a point de mocquerie;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!


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